Après des années d'échanges sur internet, le moment est finalement venu de rencontrer ce grand gaillard qu'est Régis. Si je dis grand c'est que ça faisait longtemps que je n'avais pas eu besoin de lever la tête pour parler avec quelqu'un ! Avec ses deux mètres de haut, Régis aurait pu naturellement se retrouver sur un terrain de basket. Mais c'est l'outdoor qu'il a choisi et, notamment, le ski de randonnée nordique, dont il est devenu en France l'un des éminents spécialistes. Et c'est pour qu'il nous présente cette activité que je l'ai convié à cette randonnée dans le Vercors, sur les Hauts-Plateaux, son terrain de jeu de prédilection sitôt que la neige a recouvert les lieux.
Je laisse la voiture sur le parking du Pas de l'Aiguille. Le fond de l'air est frais. J'hésite sur la tenue à adopter. Souffrant d'un début de crève, je me convainc de conserver le pantalon. Quant aux chaussures, j'opte finalement pour les Merrel, un modèle à tige basse comme une tennis, laissant à contrecoeur mes fameuses sandales qui auraient fait désordre avec le pantalon. J'ignore encore que ces considérations de style me coûteront cher en fin de journée...
La montée au Pas de l'Aiguille est effectuée au pas de course. Régis a de grandes jambes mais il a aussi le rythme tonique d'un sportif confirmé. Tout autour de nous, le panorama est sublime. L'automne est arrivé soudainement et ses teintes vives dévalent en-dessous des falaises comme de gigantesques toboggans colorés. Pièce maîtresse de ce décor grandiose, le monolithe du Mont-Aiguille accroche inévitablement le regard. Impossible de ne pas être hypnotisé par ce monument historique, véritable symbôle de ce territoire qu'est le Vercors.
On atteint rapidement la prairie de Chaumailloux, son mémorial de la Résistance et ses deux refuges-abris. C'est parti pour la première interview. Régis m'entraîne ensuite sur un azimut sanglier en direction de Tête Chevalière. Inutile de s'encombrer d'un chemin, il connaît les lieux tellement par coeur qu'il navigue à vue à travers dolines et scialets vers le sommet ! Sitôt franchi le couvert des derniers arbres, on pénètre dans l'immense espace des Hauts-Plateaux. Le relief y ondule en longues vagues herbeuses qui confèrent à l'endroit un parfum d'infini. La vue se dégage d'ailleurs à 360° vers des massifs lointains : Chartreuse, Bauges, Belledonne, Taillefer, Ecrins, Devoluy... Vers le sud et l'ouest, ce sont le Glandasse et les monts de l'Ardèche.
Nous nous posons près d'un énorme cairn pour une deuxième interview et la pause casse-croûte. Parti en catastrophe de Chamrousse à l'aube, j'ai complètement oublié de prendre à manger ! Heureusement que Régis peut me dépanner d'une part de quiche et de quelques gâteaux. Je pense vraiment à rien, c'est pas croyable... Nous entamons ensuite la route vers la cabane de l'Essaure. Je reçois les premiers signaux d'alerte de la part de mes pieds. Dans le sens de la descente, les orteils viennent s'écraser peu délicatement contre le fond de la chaussure. Tout ça ne me dit rien qui vaille. Pour l'heure, la beauté du paysage occulte le problème. Plutôt que de suivre le sentier balisé en contrabas, nous filons sur le fil de l'arête en tutoyant les précipices s'ouvrant sous nos pieds. L'érosion a créé ici une oeuvre stupéfiante, profonde et incroyablement esthétique. J'y retrouve un peu ce que j'ai vu dans le Colorado Provençal, les couleurs de l'ocre en moins mais la démesure en plus. C'est juste sidérant. Je n'en finis plus de faire des images...
A la cabane, nous filmons les dernières interviews, non sans quelques fous-rire qui iront directement dans le prochain bêtisier. C'est ensuite que les choses sérieuses commencent pour moi. Car mes chaussures ont décidé de me faire souffrir en descente et celle du Pas de l'Essaure n'en est justement pas une petite. La randonnée se transforme en chemin de croix. Je me maudis de ne pas avoir pris mes sandales. Me voilà condamné à me traîner lamentablement sur ce sentier qui semble ne jamais vouloir devenir plat. En plus j'essaie de compenser sur ma cheville détraquée ce qui finit par propager la douleur à celle-ci. Non, vraiment, c'est n'importe quoi ! Je jure de ne plus jamais remettre ces Merrel et de les immoler à la première occasion. J'atteindrai finalement Chichilianne en chaussettes : c'est encore davantage supportable qu'avec les chaussures !
Excepté qu'à Chichilianne, il reste encore six kilomètres jusqu'au parking du Pas de l'Aiguille. La vache ! Même sans la question de mes pieds, ça fait quand même une sacré boucle ! D'un commun accord, je confie mes clés de voiture à Régis. Je resterai ici le temps qu'il aille la récupérer. Assis près de la fontaine, à prendre les derniers rayons de soleil, je me dis que souvent, lorsqu'une randonnée a été l'occasion de rencontrer quelqu'un, il y a toujours eu quelque chose qui a fait de l'événement un souvenir mémorable : la traversée épique de la Chartreuse avec Franck (Merloz), la sortie hors-sentier et sans assurance avec Jean-Marie dans les Pyrénées, le bivouac catastrophe en falaise dans le Glandasse avec Grégoire... Une fois n'est pas coutume : on se rappelera de mes Merrel longtemps avec Régis !